CNRS Paris Diderot Sorbonne Université

Emmanuel Lecouturier chargé d’un cours Peccot en janvier 2022



Emmanuel Lecouturier est chargé d’un cours Peccot au Collège de France en 2021-22. Il a préparé une thèse à l’IMJ-PRG et est maintenant professeur assistant au Yau Mathematical Center (institut de recherche affilié à l’université de Tsinghua, Pékin) et membre de l’Institute for Advanced Study. Sa thèse est intitulée « Éléments d’Eisenstein supérieurs » .
Le cours aura lieu les jeudi 6, 13, 20 et 27 janvier 2022 (10h-12h) au Collège de France.


En 1977, B. Mazur a démontré que le sous-groupe de torsion d’une courbe elliptique sur Q est cyclique d’ordre n avec n<11 ou n=12 (ou de la forme Z/2 x Z/2n, avec n<5) résolvant ainsi une conjecture de B. Levi en 1908. Il y parvient grâce à un argument dit de descente infinie, un terme et une méthode qui remontent à Fermat, mais appliqué dans un contexte créé par Mazur. Un objet central y est l’algèbre de Hecke T opérant sur les formes modulaires de poids 2 pour Γ_0(N) pour N nombre premier. Mazur y définit l’idéal d’Eisenstein I de T. Son intérêt se concentre sur la complétion I-adique T_I de T, une construction qui a fortement influencé les avancées en théorie algébrique des nombres depuis lors, telles que la conjecture d’Iwasasa, la théorie des déformations de représentations galoisiennes vers le programme de Langlands. 

Mazur pose la question suivante. Supposons pour simplifier I maximal de caractéristique résiduelle p>3. Alors p divise (N-1). L’annneau T_I est une Z_p-algèbre de rang fini g. Que vaut g ?

On peut montrer que g>1 si et seulement si, en posant m=(N-1)/2, le nombre 
                                                                                                       1^1. 2^2….m^m modulo N 
est une puissance p-ème. Si on fixe un logarithme discret log : (Z/N)^*–> F_p, cela revient à dire que \sum_{k=1}^m k.log(k)=0. Or la quantité \sum_k k log(k) peut être vue comme une dérivée (en un sens modulo p) de la fonction zêta. 

Lecouturier en déduit par exemple ce théorème pour lycéens : si N=2^p-1 (nombre premier de Mersenne), on a g>1, si bien que 1^1. 2^2….m^m est une puissance p-ème modulo N (essayez de le démontrer !).

Lecouturier montre que g>2 si et seulement si  \sum_{k=1}^m k.log(k)=0 et  \sum_{k=1}^m k.log(k)^2=0. Le membre de gauche de la dernière égalité peut s’interpréter comme la «dérivée seconde» de la fonction zêta. La voie semble tracée.

Mais la généralisation évidente est fausse : g>3 n’est pas lié à la nullité de  \sum_{k=1}^m k.log(k)^3. Lecouturier donne un critère élaboré, de nature K-théorique, pour g>3. Cela fait intervenir des constructions de Sharifi et Goncharov, et des travaux de Sharifi et Venkatesh. 

Au centre des travaux de Lecouturier se trouve la notion d’élément d’Eisenstein supérieur : des éléments dans certains modules sous T qui sont annulés non pas par l’idéal d’Eisenstein, mais par des puissances de cet idéal. On peut faire varier le module considéré et obtenir une foule de renseignements arithmétiques. Cela est profondément lié à de multiples progrès récents en théorie algébrique des nombres tels que la théorie des déformations des représentations galiciennes réductibles de Caligari et Emerton, les produits de Massey de Wake et Wang-Ericsson, les travaux de Fukuya-Kato sur la conjecture de Sharifi, les algèbres de Hecke dérivées de Harris-Venkatesh, puis de Darmon-Harris-Rotger-Venkatesh.

(note rédigée par Loïc Merel)

Voir en ligne : https://www.college-de-france.fr/si...